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Deux graines et nous
21 novembre 2012

Multiplication au carré

Je n'ai donc pas eu droit à l'annonce toute en subtilité ( ou fracassante, c'est selon ) de la grossesse de Chérie. Il y a eu des confirmations, certes, mais pas de surprise. Cependant, il ne faut jamais vendre la peau de l'ours, surtout quand il gigote encore... car la surprise, annoncée par une Chérie ayant des yeux brillants comme des étoiles, j'allait tout de même y avoir droit.

Contrariée par un utérus tendu et douloureux, ma petite femme décide d'utiliser ses relations pour passer une échographie pirate, entre deux rendez-vous officiels. Imaginez un pavillon noir avec un crâne blanc peint dessus, flottant au sommet de l'appareil, et vous ne devriez pas être très loin de l'idée.

A peine revenue de cette échographie improvisée, qu'elle me demande de la rejoindre en bas, et de m'asseoir sur le canapé avec elle. Visiblement très excitée, elle me demande de jeter un œil à une feuille de rhodoïd qu'elle extirpe d'une enveloppe grand format. Une impression d'échographie. J'inspecte la chose et j'y vois... des taches. Des grosses, des blanches, des grises, des grosses et des petites. Des pixels, surtout, et ça c'est mon domaine. J'en admire la forme carrée, leur alignement... Bon, en regardant l'ensemble, il y a bien une forme un peu générale, mais difficile de comprendre quoi que ce soit. Surtout que quelque chose semble clocher. Du tréfond de ma cervelle, la petite voix de l'Inconscient me crie : Cela sent les ennuis...

Voyons voir. Un gros trou noir, entouré de gris clair, avec une séparation. Un trou. Un organe ? Un organe, avec genre un grand trou séparé en deux ? Et deux grains de café, un dans chaque partie. Les gros ennuis ! me hurle Inconscient, plus prompte à la comprenette que moi. Je regarde Chérie, puis le rhodoïd. Je regarde Chérie, puis encore le rhodoïd. J'essaye de comprendre, encouragé par ma douce comme une pom-pom girl, mais je n'y arrive pas. Impossible de déchiffrer ce que je vois sur cette radiographie, et Inconscient est trop occupé à s'affoler dans son coin pour m'être d'une quelconque utilité.

Dans ma tête, c'est le Blue Screen of Death*. Plantage de cervelle. Ce qui me sert d'encéphale redémarre alors, prenant son temps. Une demi-seconde de béatitude... et là, avec un OS tout neuf, le rhodoïd dévoile brutalement ses secrets.

Au même moment, Chérie me vend la mèche. Ce sont des jumeaux !

Je suis Futur Papa de non pas un, mais DEUX enfants, en même temps.

Puis, heureuse comme une gagnant du gros lot au Loto, elle s'enquiert de savoir si je me réjouit de cette nouvelle. De mon côté, je m'aperçoit que tout devra donc être multiplié par deux, désormais. Finis, les plans soigneusement préparés avec « un seul enfant » depuis des années, en voilà deux, d'un coup. Pas "un enfant" puis un autre, non. Deux, en Dolby Stéréo. Pas un hurlement strident, mais un duo de hurlements stridents. Dans ma caboche, Conscient et Inconscient jettent leurs dossiers à la poubelle et commençent à refaire leurs prévisions en maugréant de ces heures supplémentaires non payées.

Chérie m'explique alors tout les détails, me rappelle que dans sa famille les jumeaux sont monnaie courante, et s'inquiète de mon manque de réaction. Je ne peux pas lui répondre tout de suite : Les employés dans ma caboche sont occupés à bougonner et ne m'ont pas encore rendu leurs études sur ce nouveau dossier. Je les presse de finir plus vite et bafouille une réponse qui se veut rassurante, mais qui convainc à moitié Chérie. Conscient me rappelle que l'on s'était spécialement entraîné pour ce genre d'annonces, mais sur le coup il n'y a pas pensé non plus.

Je dois désormais tout multiplier au carré. Je pense que je vais commencer par le bonheur, c'est ce qui compte le plus...

* : Pour les non-initiés, le Blue Screen of Death ( ou BSOD ) est l'écran bleu que vous voyez lorsque Windows plante brutalement en perdant votre travail en cours. Les plus pervers en ont fait des T-shirts.

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