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Deux graines et nous
12 juin 2013

Deux graines... et nous

Aujourd'hui, c'est le grand jour. C'est ce que je me suis dit toute la soirée, seul à la maison alors que Chérie est restée à la clinique de Midville. Demain, à partir d'un certain moment, je serai devenu père. Tout changera, et c'est ce que les années précédentes, et ces neufs derniers mois, ont vu construire pour en arriver là. Je crois que je ne réalise pas vraiment.

A midi, je saute dans le train qui m'emmène de Châteauvieux-sur-fleuve jusqu'à Midville; j'y suis accueilli, sans surprise aucune, par la grève des bus, et zéro taxis. Alors que l'heure tourne, j'essaie divers numéros de taxis, mais tous me refusent : ils sont débordés à cause de la grève des bus. C'est alors, lorsque je me préparait à rejoindre la clinique à pied et le GPS dans la main, qu'un taxi surgit pour déposer un passager. Le chauffeur acceptera de faire un écart et me pose à la clinique, vers 13h15.

Chérie est soulagée, car elle part pour la césarienne à 13h30, autant dire que je suis arrivé plutôt à temps; Si j'était venu à pied, je serai arrivé bien plus tard et j'aurai probablement trouvé une chambre vide. Déjà, les montants métalliques se redressent autour du lit de ma femme, et un aide-soignant fatigué mais professionnel conduit Chérie au bloc. Nous descendons deux étages, et nous patientons dans une espèce de sas glauque, une variante de parking à lit médical, aux murs peints d'une couleur beige fatigué. Chérie use de son charme pour négocier une faveur : Je l'accompagne dans la salle d'opération. A l'origine, c'était un "non" catégorique, mais... comme je l'ai expliqué dans une note précédente, quand on est futur papa on acquiert un immense capital sympathie. Le NON se retrouve transmuté en OUI. Je me retrouve donc à aller au bloc.

Pendant que Chérie est préparée, je me change en tenue opératoire vert pomme et bonnet bleu. Je sourit en pensant que costumé ainsi, je ressemble à mon paternel; et d'ailleurs, certains membres du personnel me confondent avec des collègues et me saluent. Je les détrompe gentiment.

Sans traîner, je me retrouve posé dans le bloc opératoire, à voir la préparation et la césarienne. On m'a réservé un tabouret, dans un coin; Des étudiants arrivent, me dévisagent et essayant de deviner qui se cache derrière le masque. Chérie est droguée, allongée, tout va très vite et les gestes sont précis. L'obstréticienne arrive, et fidèle à elle-même, me salue à peine.

Je me demande comment je vais réagir, mais étrangement, je me sens plutôt calme. Enfin, commence l'opération; on sent le ventre être ouvert à cause de l'odeur de chair grillée qui se met à flotter dans l'air. Les médecins opèrent en parlant peu. Je ne vois pas grand-chose, de là où je suis; cela me convient très bien.

Peu de temps après, j'entends un gargouillis guttural.
-" Ah, il en a un peu avalé. " constate l'obstréticienne d'une voix posée.

Puis un cri; le premier cri de mon premier p'tit gars. Le bébé qui s'appellera désormais Victor est extirpé, frippé et violet; brandi au-dessus des têtes. Chérie est dans les vapes, mais le voit quand même quand on le lui présente et esquisse un sourire ravi. Puis on me fait signe de les suivre dehors. Je les accompagne, et pendant que Victor est nettoyé, Elric arrive, tout aussi violet et gluant. Nous sommes dans la salle de post-opération, hyper chauffée afin que les bébés ne prennent pas froid; On me donne Elric, qui ouvre déjà un oeil et me regarde, innocent, se demandant sûrement pourquoi il n'est plus dans l'endroit chaud et serré. Je suis la première chose que cet enfant a vu, et dans ma tête, loin, là où se trouve Inconscient, quelque chose change. C'est mon enfant. Je le protégerai. Gare à celui qui ose vouloir lui faire du mal !

Les deux nouveaux-nés, encore sous le choc, sont nettoyés et placés dans une couveuse. Les sage-femmes les emmènent dans la nurserie, et je les suis docilement. Elles pèsent les petits gars, puis nous installent tout les trois dans un grand fauteuil, et s'éclipsent. Je reste là un bon moment avec mes deux rejetons, à les regarder, sans bouger. Je respire à peine; J'ai, dans les bras, deux petits êtres qui se rassurent en étant au chaud l'un contre l'autre.
Je les regarde et je deviens père.

Pendant ce temps, Chérie est recousue et ramenée dans la chambre. Elle est cuite, mais ravie, et nous voir arriver fait que son visage s'illumine. Les infirmières posent les jumeaux contre ma douce et nous laissent sans faire de bruit. Nous passons enfin un moment avec nos rejetons, seuls et tous ensemble. Nous sommes une famille, et pour quelques minutes, nous oublions le temps.

Mais rien n'est fini, loin de là. Première salve de visites, première couches à changer, première visite chez le pédiatre qui ne remarque rien d'anormal. Nous revenons dans la chambre, moi poussant le berceau en plexigas contenant les petits bonhommes.

Puis la nuit commence, rythmée par les périodes de sommeil et de hurlements. Chérie et moi dormons comme l'on peut, la cadence imposée est rude, surtout pour deux adultes déjà très fatigués. On découvre qu'ils savent téter naturellement. Nous découvrons aussi que l'un fait pleurer l'autre et vice-versa. Difficile de les calmer dans ce genre de condition... Pour l'allaitement, au menu du soir c'est tétées de seins et compléments à la seringue. Ils ne sont pas vraiment jumeaux : Le grand Victor ne mange pas beaucoup, mais Elric descend ferme.Victor a trop chaud, Elric trop froid. Quand à nous, nous gardons un oeil ouvert alors que l'autre est fermé. La nuit est très dure à passer avec très peu de sommeil.

Au matin, je suis une épave, tant physiquement qu'émotionnellement. Rien que le fait de poser mes yeux sur mes fils me donne envie de pleurer. J'imagine que Chérie doit être dans un état encore plus lamentable. Mais, hélas, dès 6 heures du matin, les salves de visites médicales recommençent, me privant de repos pour de bon. Je pars assister au nettoyage des jumeaux à onze heures. Sous les gestes aguerris des sages-femmes, les enfants se débattent, mais elles ont trop l'habitude pour se laisser émouvoir. Ils crient, ils pleurent, puis s'arrêtent sec. Impressionnant.

L'après-midi sera bien plus calme, les deux nouveaux-nés sont repus et dorment côte-à-côte dans le berceau en plastique transparent. Ils dorment profondément, et nous avons enfin une minute à nous. Chérie et moi nous nous dévisageons; dans le regard de l'autre, nous découvrons nos visages de jeunes parents.

A la fin de l'après-midi, on vient encore nous chercher, cette fois pour une échographie des jumeaux. Elric d'abord, dont l'examen ne révèlera rien d'anormal. Puis Victor, que j'emmène à son tour en bas, à l'étage des machines. Le médecin qui pratique l'échographie marmonne un moment - qui me paraît très long - puis livre son verdict : En fait, le cerveau du bébé est légèrement asymétrique, et l'un des ventricules comporte une légère dilatation; c'est ce qui créait tout ces échographies différentes. Mais il n'a pas de ventriculomégalie et surtout, me dit le médecin, il aura une croissance tout à fait normale ! C'est tout ce que je voulais entendre.

Fou de joie et immensément soulagé, je remonte dire ça à Chérie. Mais, hélas, toute la fatigue, l'angoisse et le stress que je maintenait sous clef a été libéré par le verdict du médecin. Et lorsque je rentre dans la chambre, ce n'est pas un visage heureux que je présente à Chérie, mais des torrents de larmes. Voyant son air consterné, j'arrive néanmoins à articuler quelques mots pour la rassurer, et je pars terminer de pleurer dans la salle de bains, pour que mes enfants ne me voient pas ainsi.

La journée s'achève. C'est leur première journée passée ici; les bébés sont nés, ils vont bien et trouvent leur marques. La nuit sera probablement aussi rude que la première, mais nous survivrons. Et, si tout se passe bien, nous devrions sortir de la clinique dans quelques jours, et rentrer enfin chez nous.

Un peu plus loin dans cette clinique, la fameuse salle d'attente où nous avons été tant de fois est toujours là. Cette salle recevra de nouvelles personnes, et probablement plein de femmes au ventre qui s'arrondit. L'obstréticienne mettra de nouveaux hommes dans son dos lors des examens. De nouvelles graines d'humains sont échographiées, et elles arriveront prochainement, avec chacune leur histoire propre. Les mêmes aventures se répètent, si identiques mais différentes à la fois. A chacun la sienne.

La nôtre ne fait que commencer.

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